Vous attendiez le lever du jour avec impatience...
Pour être sûr d'être prêt, la veille, vous aviez inventorié dans un subtil mélange de bonheur et d'excitation, l'ensemble de votre matériel de pêche. Les bottes et cuissardes étaient rapatriées à l'entrée pour ne pas les oublier, votre réveil branché n'attendait que de faire feu, même si ces jours là, vous vous leviez toujours avant lui.
On aimait les récits de nos anciens, ceux qui nous ont appris l'art de la pêche, le respect de la nature. Ceux qui nous ont quitté, parfois bien trop tôt. Ces vieux pêcheurs qui détenaient des secrets pour berner le poisson comme jamais. Les amoureux de recettes culinaires qui savaient utiliser les ingrédients de la nature, pour confectionner des amorces magiques, les mains dans le mélange. Les fervents défenseurs du pain, de la pomme de terre (patate !), du maïs, du jaune d'oeuf...
On apprenait à "taquiner" le gardon, à comprendre où se situe le goujon (au fond), si l'eau peut-être considérée comme propre à la seule présence d'un poisson, d'un insecte, ou encore comment bien attacher l'asticot à son hameçon. Puis comment reconstruire (après avoir fait un noeud indémêlable) une ligne avec un bouchon, calculer le nombre de plombs nécessaire en fonction des grammes... on nous initiait à l'art de la capture, mais aussi à la joie immense de libérer et voir repartir son poisson si fièrement attrapé.
A l'époque, on rentrait trempé, fatigué, les chaussettes humides, mais heureux ! On ne disposait pas d'appareils photos comme aujourd'hui. Le seul souvenir de sa prise restait sur les berges dans les mémoires, en compagnie de sa famille, d'un ancien, d'un voisin, ou d'un autre passionné venu aider avec l'épuisette à sortir le poisson de l'eau. On aimait la simplicité, la nature.
On nous enseignait l'observation, le calme, la patience, à identifier le moindre mouvement dans l'eau. Ce remous bien caché qui nous faisait penser qu'un poisson pouvait se trouver là, juste dessous. On changeait ses cannes avec parcimonie, non sans avoir ce petit élan de nostalgie, en pensant aux nombreux poissons qu'elles nous avaient fait attraper.
Les leurres en plastique étaient moins existants, on privilégiait des leurres naturels, sous différentes tailles, plusieurs formes, plusieurs couleurs. On achetait ses appâts chez le magasin de pêche du coin, en glanant quelques astuces auprès du gestionnaire, ou dans les discussions avec les autres clients pêcheurs.
Aujourd'hui, on est impatient. On se rue au bord de l'eau avec une vingtaine de leurres différents, on les change toutes les cinq minutes si aucune touche ne se présente. On n'hésite pas à passer devant un autre, ou repasser derrière, pour lui "voler" le poisson. On ratisse dans un sens, puis dans l'autre. Les cannes sont déjà montées dans les voitures avant d'arriver, le rod pod prêt à être utilisé.
On ne respecte plus les cycles naturels. Le poisson doit mordre au plus vite. Si ce n'est pas le cas, c'est qu'il n'y en a pas... On ne prend plus le temps d'observer avant de pêcher. On balance des quantités d'amorce, de bouillettes, en se disant que le poisson n'aura pas le choix de tomber dessus. On ne prend plus la peine de rencontrer son voisin de pêche, celui du poste juste à côté. On oublie toutes les bases !
Heureusement, l'art ancestral de la pêche n'est pas encore tout à fait perdu. Les choses évoluent et nous ne pouvons que suivre l'évolution. Nous pensons bien sûr à tous ces bénévoles, ces associations, ces "écoles" de pêche, ces parents, grands-parents, qui prônent encore le respect de la nature, et éduquent la jeune génération à la pêche, à ses techniques, aux comportements, aux valeurs. La nostalgie des bons moments est toujours agréable. C'est aussi elle que nous apprenons à transmettre à la génération suivante, qui nous l'espérons, la transmettra à son tour...